L'Histoire.
Après avoir passé 7 ans en escadron, me voici muté, en 2004, dans une brigade du sud-ouest de la France: ce choix qui aurait dû être une solution à certains de mes problèmes personnels est devenu, en une année seulement, un cauchemar sans nom. En effet, ladite unité était composée de plusieurs groupes de gendarmes (tous grades confondus), ce qui, à la base, n'est pas une nouveauté en soi: oui, mais parmi ces groupuscules se trouvait le noyau dur de la brigade, en l’occurrence un groupe de 4 individus adeptes de la boisson (anisée, en particulier) et de manipulations diverses générant (selon les conclusions du Conseil d’État, et c'est peu dire) une situation délétère des plus insupportables.
Ces quatre énergumènes passaient outre l'autorité de notre commandant de brigade, et ce dernier craignait d'ailleurs des représailles en cas de sanctions prises à leur encontre.
Il était de coutume, au cours des différents services, d'être placé en binôme avec un des éléments issu du groupe "Anisé" (leur boisson favorite, une célèbre marque d'apéritif de Marseille), la progression de la journée était donc constituée principalement de visite à particuliers systématiquement ponctuée par une ingestion massive de la boisson sus-citée, le tout sous de divers et fallacieux prétextes (chaleur, soif, déshydratation, besoin vitaux étranges, taux de gamma gt trop bas, etc...): en règle générale, le binôme anisé était déjà, en début d'après-midi, assez vaseux, et pour accomplir certains services inhérents à notre fonction, il fallait faire preuve d'ingéniosité pour dissimuler l'état du collègue imprégné aux yeux du public.
A ce propos, il m'est donc arrivé d'enfermer délibérément mon équipier, alors en état d'ébriété avancée, et cela à plusieurs reprises, dans le véhicule de service, afin d'exécuter mes interventions dans un minimum de dignité, mais ce faisant, au détriment des règles de sécurité.
Les contrôles dits d'alcoolémie était également source de situations à la fois risibles et profondément tristes, à l'instar de ce gendarme, dont la sclérotique avait prit la couleur jaune de sa boisson favorite, et qui demande péniblement à un automobiliste de "souffler dans le ballon". Je restais à ses côtés, de peur qu'à force de balancement il ne finisse par chuter, pendant que le conducteur ébahi demandait à l'agent requérant de souffler lui-même dans son appareil: je lui souhaitais alors une bonne soirée en le remettant en circulation, et je devais ensuite répondre aux questions de l'adjoint au commandant de compagnie qui, ayant également remarqué la fatigue physique de mon collègue, me demandait s'il devait croire en ce qu'il voyait.
La salle de repos de l'unité se trouvait à l'origine à quelques mètres seulement de l'accueil du public, et l'absence de retenue offrait donc à tout un chacun un concerto de tintements de verres et de bouteilles que seul le commandant d'unité, dont le bureau se trouvait dans la partie la plus éloignée de la zone sinistrée, ne pouvait entendre.
Au bout de quelques années, eu égard à ces indiscrétions festives, il décida d'ailleurs de déplacer la fameuse salle de repos dans un des appartements vacants de la partie habitation de l'unité: certes, ces manifestations qui pouvaient durer jusqu'à des heures indues de la nuit ne gênaient plus la clientèle de l'unité, mais les familles des personnels résidant dans ce bâtiment en prenaient pour leur grade.
Étrangement, les plaintes adressées à notre bon patron étaient gérées à son niveau et ne sortaient pas de son bureau d'ailleurs: elles y restaient et y mourraient, après une conversation qui se finissait, à l'instar d'une bonne campagne présidentielle, par des caresses dans le sens du poil, de belles promesses et, finalement, la sensation d'avoir été pris pour un con. Il en était de même pour nos débats à huis clos relatifs au comportement de nos camarades aux foies malades, notre bon CB nous assurait qu'il remettrait le train sur les rails (dans le mauvais sens, voulait-il probablement dire) et qu'il appliquerait des sanctions adaptées...
Effectivement, des sanctions étaient appliquées, mais sur nos notations annuelles: en littéral, et contrairement à nos amis du "Club Anisé", nous n'avions pas de motivation au travail, nous ne remplissions pas nos objectifs (comprendre quota de PV) et notre comportement était parfois déplacé (dixit notre bon CB): après lecture de ce pamphlet qui , étrangement, me déplaisait quelque peu, j'entamais, à nouveau, un de ces fameux débat à huis clos avec notre subtil commandant d'unité, et, savoir-faire d'un officier carriériste (pléonasme), lors de mes pointes d'exaspération, il m'appelait par mon prénom et me versait une larme en m'affirmant qu'il était tiraillé entre ses supérieurs hiérarchiques et le courroux du groupuscule alcoolisé...
Je lui rétorquais donc que ces notations étaient vitales pour le bon déroulement d'une carrière, et qu'il nous plombait sous prétexte de sa lâcheté: il reconnaissait les faits et promettait à nouveau monts et merveilles...
Grâce à l'accès à la gestion du registre de l'unité dont il bénéficiait, le plus gradé des 4 individus peaufinait subtilement ses statistiques personnelles en s'accaparant les enquêtes dites "résolues" de l'unité, en remplaçant simplement le nom de l'enquêteur principal par le sien: lesdites statistiques, aussi virtuelles soient-elles, sont très appréciées par nos commandants, car même si la réalité et la véracité en sont totalement exclues, elles constituent, pour eux, une synthèse de l'activité de chaque unité et de chacun des personnels qui la composent.
Il était également habituel que ces tristes sires, lorsqu'ils étaient d'intervention, (P.A.M.,Premiers A Marcher, service de 24 h consécutives), disparaissaient des écrans radars, on nous envoyait donc à nous, les jeunes gendarmes, afin de pallier à ces absences: de par ce fait, il m'est arrivé, alors que je venais de rentrer chez moi et de renvoyer la nourrice à son domicile, d'être rappelé en urgence à l'unité, et de devoir laisser ainsi mes enfants, alors en bas âge (2 et 3 ans), seuls. Il arrivait même que les véhicules de service étant monopolisés dans leur intégralité par nos amis anisés, nous ne pouvions assumer les dites interventions: le CB attendait le retour des lascars, et même en constatant leur lamentable état, il se contentait de les renvoyer chez eux tout en croisant les doigts pour qu'il n'y ait pas de "clash".
Lorsque je vivais encore dans l'appartement de fonction, dans l'enceinte de l'unité, il m'arrivait de tomber sur les "sorties" de la salle de repos, comparables au spectacle offert par le parking d'une boite de nuit ou même encore celui d'un pub irlandais... Nos quatres sous-officiers tentaient, pour certains, d'atteindre la porte d'entrée du batiment pour rejoindre leurs pénates, tandis que les autres prenaient leur véhicule (impossible de les convaincre de les raccompagner) et partaient pour un trajet qui promettait d'être long.
Il fallait tout de même leur ouvrir la grille, sous peine de devoir intervenir sur un accident au sein même de la brigade.
En patrouille nocturne, nous croisions de temps à autres ces fameux trublions, endormis dans leur véhicule (parfois moteur tournant) pour les plus fatigués, et de retour de boite de nuit pour les plus courageux (en uniforme et armés).
Les matins succédants à ces soirées agitées étaient, pour nous, très prévisibles: il fallait donc assurer les permanences des 4 loustics, car ces derniers restaient, pour certains, à leur domicile en informant le CB qu'ils ne se "sentaient pas très bien", ou bien pour les plus courageux qui atteignaient l'unité, ils s'enfermaient tout simplement dans leur bureau ou repartaient patrouiller dans leur chambre.
Un des 4 individus était bien ancré sur la région, puisqu'il y était né, et surtout parce que son père y avait quelques appuis bien placés, en l'occurrence de hauts fonctionnaires de diverses institutions: à tel point qu'après son école de sous-officier, il a obtenu son affectation sur son lieu de naissance et de résidence sans pour autant briller lors du classement final.
Lorsque nous avons passés ensemble le diplôme d' OPJ (Officier de Police Judiciaire, un cursus de 14 mois), nous étions plusieurs de la même unité sur la session, et un seul était voué (dixit le lieutenant qui dirigeait la formation) à se vautrer lamentablement et à ne jamais obtenir cette qualification: quand nous sommes sortis de la salle d'examen, il a hurlé fièrement que s'il était reçu, il s'agirait d'un "hold-up", et cela devant tous les cadres et élèves présents. Et bien, finalement, je vous laisse deviner!!! Et pour avoir les résultats avant même qu'ils soient diffusés au niveau national, il n'a eu qu'à passer un coup de fil, après lequel il s'est exclamé "Ça a marché!"...
La femme d'un collègue d'infortune était d'origine marocaine, et les propos indélicats lancés quotidiennement à son encontre allaient bon train, tant devant son mari que sous son nez, notamment lorsque cette malheureuse épouse de militaire à eu l'audace d'amener quelques crêpes qu'elle avait confectionnées afin de soutenir le moral des troupes au bureau.
Voici quelques-unes des subtiles remarques envoyés par 2 des 4 anisés: "Je ne mange pas des crêpes de bougne...","Les arabes, c'est comme le racisme, ça ne devrait pas exister...","Hitler n'a pas visé les bonnes personnes en envoyant les juifs dans les camps...", j'en passe, et des meilleures.
Avant qu'il ne soit affecté à l'unité, un gendarme adjoint volontaire, lui aussi d'origine marocaine, et dont la fiche de mutation venait d'être lue, s'est vu affublé d'un sobriquet des moins flatteurs (doux euphémisme) alors qu'il n'avait pas encore mis un pied dans la région.
Il était motivé, agréable au quotidien, il travaillait comme un bon sous-officier, et il n'a fait que 6 mois à l'unité avant de demander une mutation qui lui a été salvatrice: à l'instar de la malheureuse sus-citée, les insultes raciales fusaient sans modération au quotidien, et je lui tire mon chapeau pour la retenue dont il a fait preuve au cours de son séjour.
Se rajoute à la liste non-exhaustive de méfaits ce petit détail, concernant deux de ces braves éléments d'enquête: la seule sous-officier féminine de la brigade recevaient moultes sms et visites domiciliaires, souvent tardives, voire nocturnes (tout dépendait des services) et elle n'avait que nos épaules déjà bien chargées pour s'épancher quant à son tristes sort. Lorsqu'elle eu l'audace d'aller pleurer auprès du commandant d'unité, il lui demanda de fermer son clapet car les deux hommes qu'elle désignait étaient des bons sous-officiers dont il fallait, qui plus est, se méfier: de plus, comme ils avaient une famille, cela risquait de leur porter préjudice. Les différentes gendarmes adjointes qui se sont succédées à l'unité ont toutes plus ou moins subies ces visites domiciliaires, certaines résistaient, d'autres s'en accomodaient.
Ce "détail", dans les faits relatés, n'a jamais été pris en compte dans l'enquête de commandement.
Puisque les statistiques sont très appréciées par la kommandantur, voici quelques chiffres non modifiés: 90% des réservistes étant passés à l'unité n'ont plus jamais voulu y revenir, et 90% des gendarmes adjoints ont demandé, au bout de 6 mois de présence (délai minimum légal), une mutation.
Aussi difficile qu'elle puisse paraître, aucune situation n'est forcément désespérée... A ce qu'il paraît...
Les différents groupes qui composaient le personnel de l'unité étaient ainsi classés: le groupe des anciens (pas de vagues, pas d'embrouilles), le groupe des 4 anisés (on ne les présente plus), le groupe des jeunes perdus (4 également, mais sans alcool dans le sang), et les girouettes (on suit le sens du vent)...
Tout dialogue au sein de l'unité était donc impossible, et en passant par notre chère PSO (présidente des sous-officiers), le résultat était le même ("Tenez-vous à carreau, ils sont plus anciens, il faut demander une mutation et prendre patience, etc...").
Le commandement était hermétique à toute information relative à ces faits, et malgré la réputation régionale de notre brigade, l'image de notre belle institution était prioritaire.
Les seuls à tendre l'oreille étaient d'une région voisine.
En effet, nous, les 4 jeunes "rebelles" suivions une formation, et deux cadres présents, qui nous connaissaient depuis quelques mois, nous ont interpellés sur une pause, afin que nous leur expliquions l'origine de nos mines déconfites. La teneur de nos explications a eu l'effet d'un choc, la mâchoire leur en tombait, et leur réaction fut quasi-immédiate.
Quelques heures après, et vu la gravité des faits rapportés, les deux officiers n'ont pas hésité à faire 150 kilomètres afin d'en parler à notre commandant de compagnie: ce dernier nous convoqua donc pour la fin de la semaine, à l'issue de notre stage.
Une belle surprise nous attendait, car notre bon commandant de compagnie nous menaça d'abord de nous punir pour avoir rapporté les faits à des "personnels extérieurs": il nous somma ensuite de prendre une décision rapide, en l'occurrence de rédiger nos comptes-rendus afin qu'il demande l'ouverture d'une enquête de commandement, ou bien de fermer nos clapets et de garder cela pour nous.
Ce comportement était d'autant plus hypocrite que l'adjoint au dit-commandant avait déjà constaté l'état d'ébriété de nos collègues anisé lors de divers services diurnes ou nocturnes,
Cette décision est d'une importance capitale, de par sa portée et ses conséquences: même après 5 ans de torture morale, nous avons eu du mal à nous lancer, mais finalement, nous l'avons fait.
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